Été 2013, 01h00 heure locale, quelque-part sur la Mer Noire l'USS Tarawa et son escorte croise sur une mer calme.
Pourtant les coursives commencent à s'agiter et deux Harriers de la
VMA-513, les "Flying Nightmares" sont montés sur le pont et armés par les pétafs d'une Mk-82 SnakeEye et d'un Maverick AGM-65D en plus de leur pod canon et de deux réservoirs pendulaires.
En salle ops nous commencons à briefer la mission confiée à l'unité pour cette nuit, météo sur zone, durant le transit mais aussi pour les phases de départ et de receuil sur le navire.
C'est une nuit d'encre avec une petite lune et on y voit pas grand chose mais c'est le quotidien lorsqu'on est pilote d'AV-8B-N/A chez les Marines, la version d'attaque de nuit du Harrier.
Le briefing météo passé l'officier "Rens" de l'unité et le pacha du navire entre dans la petite salle étroite et mal aérée qui caractérise bien l'architecture de ces batiments de guerre.
Le ton est vite donné, la destination nous la connaissions: Gori petite ville de 50000 âmes du centre de la Géorgie situé en pied de montagne, maintenant nous avons la raison: nos deux diplomates enlevés de cela il y a deux mois à Tbilissi ont été localisés là-bas et nous sommes chargés de couvrir l'opération de sauvetage montée par le SOCOM.
Les grandes lignes nous sont expliquées sans nous en dire plus que ce que nous devons savoir, au cas ou la mission tournerai mal, comprenez par la une éjection en zone insurgée.
L'opération Rubis, c'est son nom prévoit l'arrivée en ville par le nord de deux Blackhawks transportant des Navy Seals couverts par quatre Cobras. Les hélicoptères de transport déposent le commando aussi vite que possible puis partent orbiter plus à l'est dans une zone d'attente. Pendant que les Seals font leur affaire, les quatre hélicoptères d'attaque se séparent pour couvrir les routes menant à l'agglomération géorgienne au sud et à l'ouest. Quant à nous on couvre tout ce petit monde du dessus et on se tient prêt à intervenir sur demande du JTAC du commando.
La mise en route et le décollage se font sans encombre avec toujours cette même montée d'adrénaline lorsque l'on quitte le pont éclairé du Tarawa pour se jeter littéralement dans le vide, comme dans un trou noir, au dessus le ciel noir ou quelques étoiles se détachent ici et la, en dessous la Mer Noire (hihi) prête à vous avaler à la moindre erreur de pilotage de votre part.
Je suis cette nuit aillier et j'effectue ma rejointe sous JVN sur le leader pour prendre la position adéquate en patrouille serrée. Il faut se méfier car les JVN en plus de réduire le champ de vision modifient notre perception des distances et donc de la vitesse de rapprochement.

La vue fantomatique de mon leader alors que l'on entre en territoire hostile.
Nous croisons à 10000ft (3000m) pour une vitesse de croisière de 400kt (740km/h), de jour nous aurions pris 5000ft supplémentaires mais les insurgés ne sont pas équipés pour nous traquer de nuit et lorsqu'ils nous entendent on est généralement déjà passés. Cependant ces 10000ft nous permettent d'avoir une marge confortable pour réagir en cas d'imprévu.
De nuit l'on se relie sur nos JVN mais aussi sur le FLIR, un système d'imagerie thermique en nuance de vert qui filme ce qui se passe devant l'avion et le retransmet soit sur un de nos écrans de bord ou en projection sur le HUD, ce système bien pratique permet de ne pas venir percuter la planète mais aussi la détection de sources de chaleur au sol. Sources potentiellement hostiles à cette heure tardive.

FLIR sur le MPCD

FLIR en projection sur le HUD.
"Lancement de l'opération Rubis.", la voix mélancolique de l'AWACS me sort de ma torpeur, nous sommes tout juste sur zone, pile à l'heure pour le rendez-vous.
Notre formation se sépare: mon leader tombe à 6000ft alors que je conserve les 10000ft, cette étagement permet de se concentrer sur nos instruments et nos systèmes tout en évitant les collisions et en se partageant la zone, la rotation se faisant sur des orbites opposées.
Les hélicos apparaissent au nord sautant les arbres et les petites fermes caucasiennes pour finalement partir à gauche franchement sous le couvert d'un bois et s’arrêter.
Les forces spéciales sortent alors des hélicos et foncent déjà vers la végétation environnante. Leurs silhouettes sont relativement visibles au FLIR lorsque l'on sait ou les chercher.

Vue des deux Blachawks au FLIR (en haut à gauche du "159T"), le commando est juste au dessus dans les arbres.
Ils sont plus "faciles" à repérer en "live" que sur une image, étant alors mouvants.
Le commando avance tranquillement vers le bâtiment cible en nous tenant informés de la situation au sol
Rapidement cette situation passe du calme plat à une situation plus tendue lorsque tandis que le commando prends d'assaut le batiment, leur sniper repère un affut AAA monté sur camion à l'ouest et un convoi de quatre véhicules insurgés s'arretant au nord à 300m d'eux. Mon leader part traiter le convoi et me laisse le AAA.
J'écarte franchement à droite sous 5G, les secondes comptent et cette pièce peut s'avérer meurtrière si elle arrose nos hélicos au retour ou pire les mecs de chez nous au sol.
Pendant que je tourne le dos à la ville mon Maverick est en préchauffage. 7 nautiques, demi-tour franc à 5G au cap opposé. Je pointe le nez de l'avion sur la direction de ma cible, presse le bouton de désignation, remet les ailes à plat puis je joue avec mes touches tel un pianiste pour venir placer la croix sur le canon. 5 nautiques. Je décage le maverick, vérifie que le masterarm est levé, le mode air-sol sélectionné et confirme une nouvelle fois la cible à la tête du missile. 3.5 nautiques: "Rifle!" je lance le code annoncant mes alliés du départ d'un missile air-sol tout en enfoncant le bouton permettant de délivrer l'armement. La flamme du maverick sature furtivement mes JVN puis le petit engin file vers le sol, son propulseur parfaitement visible. Quelques secondes plus tard: "Splash!", la cible vole en éclat.

La cible verrouillée par le Maverick.

1 sec avant le tir.
Un deuxième canon sera mis hors service pendant que nos gars évacuent vers la zone d'exfiltration, un stade municipal non loin du bâtiment ainsi qu'un groupe d'insurgés qui avait pris position de l'autre coté du fleuve. Les hélicos reviennent, évacuent tout le monde et nous avons le feu vert de l'AWACS pour rentrer. Reprise de ma position en formation en PS, un coup d’œil sur le carburant: le ravitaillement ne sera pas nécessaire même si un tanker était disponible en cas de coup-dur sur notre cap de retour.
150nm plus tard, pris en charge par l'approche, nous arrivons sur le Tarawa et ses quelques navires d'escortes qui croisent face au vent prêts pour nous récupérer.
Tout se fera au FLIR projeté sur le HUD et avec les JVN, réduction à 250kt aux aérofreins, passage en VSTOL, tuyères orientées à 80° pour casser la vitesse et venir immobiliser l'avion dans le ciel.
Les volets sont amenés en position VSTOL pour optimiser le flux des dites tuyères et on sort le train: c'est mieux. La suite est un pilotage qui se rapproche un peu de l'hélicoptère: on gère l'altitude aux gazs et la direction au manche en poussant légèrement dessus pour avancer tout en jouant avec le trim pour soulager nos efforts. Me voici immobilisé à 20kt, la vitesse du navire, sur son babord parfaitement parallèle une dizaine de mètres au dessus du pont. Un petit coup de manche à droite pour venir au dessus, on stabilise, puis on réduit doucement pour venir poser les pieds sur les freins pour ne pas partir faire une promenade mal venue sur le pont.

Mon leader Selmak fait de même, les moteurs ronronnants s'éteignent, jusqu'à la prochaine mission..